La fonction de Directeur Juridique : bilan (1/3)

Directions juridiques : un bilan mitigé

Il est amusant de constater que tout apprenti juriste sur les bancs de la fac se rêve General Counsel à l’américaine, véritable Business Partner sur lequel s’appuie le comité exécutif. Pourtant, nombre de Directeurs Juridiques à la française se demandent encore comment trouver leur place au CODIR.

Dans un contexte sanitaire où l’organisation du travail est redéfinie et où la transformation digitale des acteurs économiques s’accélère, quelles sont les mutations essentielles à opérer par les directions juridiques afin d’assurer la pertinence de leur rôle sur les années à venir ?

D’un rôle de simple sachant, le Directeur des affaires juridiques doit désormais faire preuve de créativité et de réactivité pour continuer à faire évoluer sa fonction vers celle d’un réel partenaire des instances de direction de son entreprise.

Directeurs Juridiques : bilan et chiffres encourageants

La 6è édition de la Cartographie des directions juridiques 2018 réalisée par LEXqi Conseil (en partenariat avec le Cercle Montesquieu et lAFJE avec le parrainage du cabinet Gide et de LexisNexis) avait apporté un éclairage important sur le management des directions juridiques. 70 % des Directeurs Juridiques y déclaraient avoir un périmètre international et un périmètre d’intervention élargi pour englober des domaines tels que la Compliance et les Données personnelles (Conformité et RGPD). En effet, 45 % des Compliance Officers étaient à cette date rattachés aux directions juridiques. 66 % des Directeurs Juridiques étaient rattachés hiérarchiquement au Président / Directeur Général et participaient aux COMEX / CODIR.

Aussi, 34 ­% des Directrices ou Directeurs Juridiques étaient rattachés hiérarchiquement à la direction financière et seulement 7 % d’entre eux détenaient un mandat d’administrateur dans une société hors groupe. Ces chiffres montrent la vision toujours floue qu’a l’entreprise de son département juridique.

La direction juridique : une perception toujours erronée

Plusieurs intervenants majeurs ont réfléchi à la situation des responsables juridiques français et contribué à l’apport de solutions afin d’améliorer leur positionnement au sein de l’entreprise.

Dans son livre La direction juridique de demain paru en 2014, Olivier Chaduteau, associé cofondateur du Cabinet de conseil Day One, a déploré que les dirigeants d’entreprise considèrent le droit comme « une contrainte ou bien un coût ». La situation n’a malheureusement pas suffisamment changé. La direction juridique est encore trop souvent perçue comme un centre de coûts, une simple fonction support et non comme centre de profits.

Pour modifier cette perception, elle doit changer de paradigme et accepter de passer d’une logique de contribution au mieux de ses moyens à une pratique orientée sur des résultats tangibles et mesurables. En d’autres termes, la direction juridique doit s’inscrire dans un processus de création de valeur et être capable de mesurer sa performance, ce qui nécessite de définir clairement ses objectifs.

L’horizon d’une dimension stratégique à développer

Le modèle du « GC » (General Counsel) à l’américaine : une orientation à privilégier

Un article paru au Harvard Law Bulletin en 2012 détaille déjà l’évolution du rôle du « General Counsel » aux États-Unis et les perspectives qu’offre désormais la fonction. La révolution du rôle du General Counsel s’est opérée il y a 30 ans sous l’influence du modèle de General Electric. Cette figure des pays du Common Law, le « GC », ne se limite plus à un rôle réactif de supervision des litiges confiés aux cabinets d’avocats mais bénéficie d’un rôle multidimensionnel.

À l’inverse du General Counsel, véritable Business Partner du Comité exécutif, le Directeur Juridique français voit souvent son rôle limité à la production de documents et à la gestion de crises lorsqu’elles sont déjà survenues. Leur statut diffère également en ce que la fonction de Directeur Juridique n’inclut pas le Legal Privilege dont bénéficient les échanges et correspondances du General Counsel. Si le débat fait rage en France avec un certain nombre de propositions et de chantiers en cours, l’AFJE, par son Président Marc Mossé, a réaffirmé le caractère indispensable d’un changement dans une interview donnée le 31 janvier 2020 et a constaté que « (…), les exigences légitimes en matière de compliance ou de devoir de vigilance obligent les entreprises à faire un travail d’analyse du risque et d’éventuelle remédiation qui rend encore plus indispensable la confidentialité des avis des juristes internes ».

En effet, la Compliance est devenue sur les dernières années l’un des piliers de la gouvernance de l’entreprise. Si le Directeur Juridique doit désormais être particulièrement attentif aux risques, comme nous le développerons dans un article ultérieur, il est en effet absolument nécessaire que le Legal Privilege devienne à l’avenir la norme française au sein de l’entreprise afin d’asseoir le rôle de la direction juridique dans une démarche de prévention et de défense des intérêts de l’entreprise.

Nombre d’auteurs considèrent que cette absence de protection pénalise fortement l’entreprise française sur la scène internationale et rend la tâche du Directeur Juridique plus ardue. Le Cercle Montesquieu s’est exprimé en qualifiant d’« indispensable» cette mesure « pour protéger les entreprises françaises des mesures extraterritoriales, puisqu’il en va de la compétitivité de l’économie française ».

Des formations pour aider le Directeur Juridique à se repositionner

En réalité, au-delà de la seule négociation des contrats et gestion des contentieux, le Directeur Juridique doit désormais avoir une vision forte de la stratégie de l’entreprise afin de faire évoluer sa position et d’accroitre son influence au niveau décisionnel. Il doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour prévenir les crises et les éviter.
Il doit également se positionner comme le gardien de l’intégrité de l’entreprise dans un environnement où la dimension éthique des décisions est de plus en plus scrutée.

Certains outils et notamment des formations ont été mis en place pour accompagner les Directeurs Juridiques dans cette transformation. Sciences Po Executive Education et le Cercle Montesquieu se sont associés depuis 2016 pour la création d’un programme d’excellence : l’Executive Master General Counsel (EMGC), formation diplômante qui accompagne des Directeurs Juridiques redevenus, pour un temps, étudiants dans l’acquisition de nouvelles compétences managériales et stratégiques.

Lors du Webinar « Repenser l’Evolution des Juristes : Compétences – Formations – Leadership » organisé le 14 décembre 2020 par les fondateurs de l’EMGC, Anne-Sophie Le Lay, Secrétaire Générale d’Air France KLM, a notamment insisté sur le fait que le juriste d’entreprise doit sortir de son seul rôle d’expert pour gagner en agilité et doit essayer d’adapter son langage afin d’améliorer la coopération inter départements.

Le défi du directeur des affaires juridiques : répondre à des injonctions contradictoires

Avant la crise sanitaire de 2020, le Directeur Juridique avait pour mission d’accompagner son entreprise dans la gestion de risques juridiques souvent complexes et multidimensionnels. L’inflation réglementaire et les défis technologiques ont rendu la situation bien plus tendue encore. Développer et diriger une direction juridique capable de répondre à un environnement en mutation constante soumis à des contraintes importantes aussi bien réglementaires que sanitaires est LE défi actuel de la fonction.

Du rôle ancien et traditionnel de « gardien du temple », le Directeur Juridique doit passer à celui de partenaire agile de la fonction business. Etant par nature associé au résultat de l’entreprise, il doit aider à la réalisation des objectifs de chiffre d’affaires, ce qui le dissocie nettement de la logique d’un avocat, naturellement plus détaché des contraintes de performance de l’entreprise.

Avec de nombreux impératifs à respecter : assurer le respect des textes et anticiper les risques tout en faisant appel à sa créativité pour préserver les objectifs corporate, le chef du service juridique doit combiner des intérêts parfois divergents et savoir s’adapter pour asseoir la pertinence de son rôle.

Plus que jamais, les entreprises françaises ont besoin de transformer leur direction juridique afin qu’elle puisse répondre aux nouveaux challenges auxquels elles doivent faire face. Le Directeur Juridique doit être un atout déterminant dans la détection et l’évaluation des risques, permettant ainsi d’assurer la stabilité et la protection de l’entreprise.

Si la direction juridique est pour l’instant perçue comme un centre de coûts et son leader comme un simple « Knowledge Manager », plusieurs outils sont à sa disposition afin d’opérer une mutation réelle vers la direction juridique de demain. Ce sera l’objet de notre prochain article.

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« Le Directeur des affaires juridiques doit désormais faire preuve de créativité
et de réactivité pour continuer à faire évoluer sa fonction
vers celle d’un réel partenaire des instances de direction de son entreprise ».

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Rédaction sous la supervision d'Arnaud DESCLÈVES
16 décembre 2020