Les contrats complexes internationaux : un enjeu stratégique pour les Directions Juridiques​

Si certains professionnels du droit restent sceptiques quant au concept de « contrat complexe international » (ou « contrat international complexe ») considéré comme dénué de fondement juridique per se, force est de constater qu’il y a pourtant bel et bien une réalité sous-jacente.

Qu'est-ce qu'un contrat complexe international ?

Le contrat complexe international est d’abord celui qui présente toujours un élément d’extranéité c’est-à-dire qu’un ou plusieurs éléments du contrat (clauses, lieu de conclusion du contrat, nationalité d’un cocontractant, domiciliation…) impliquent un ordre juridique étranger. Conséquence ? L’existence d’un tel élément est susceptible de jeter un doute quant au droit applicable et donc de soulever un nombre important de problématiques pour les entreprises parties prenantes au contrat. Problème ? Ces contrats sont complexes en raison des opérations qu’ils prévoient mais ils n’ont pas un régime juridique en particulier, sont sui generis et relèvent de règles différentes en fonction des aspects qu’ils recoupent (vente/achat, M&A, financement…).

Les départements juridiques deviennent alors un acteur stratégique au cœur de négociations complexes chargé de déterminer des points clés comme la juridiction compétente, certaines clauses types ou bien encore d’élaborer des montages spécifiques dans un but de sécurisation des risques et objectifs de l’entreprise.

Pour ce faire, les directions juridiques ont un besoin essentiel d’équipes dédiées et spécialisées capables de prendre en charge la négociation et la gestion de ces contrats complexes tout en conservant un point de vue opérationnel global. Dans le contexte actuel de pandémie mondiale et de fermeture des frontières, il est d’autant plus intéressant de s’interroger sur les ressources dont disposent les cocontractants pour préserver leurs intérêts.

Quelle est la marge de manœuvre de la direction juridique dans la gestion des contrats complexes internationaux afin d’assurer son rôle stratégique de protection des objectifs de l’entreprise ?

La direction juridique : acteur stratégique de l’internationalisation de l’entreprise

L’expansion internationale des entreprises a démarré avec la conquête de différents marchés et s’est consolidée avec l’implantation de filiales françaises à l’étranger. Selon l’INSEE, aujourd’hui en France 1 salarié sur 2 travaille dans une firme multinationale.

Si la direction juridique n’est pas le département qui décide à proprement parler des opérations internationales réalisées par l’entreprise, elle est au cœur du processus de mise en place du cadre aidant à leur réalisation. Elle se doit d’être innovante et disruptive parfois pour parvenir aux résultats attendus.

Plusieurs secteurs ont connu un accroissement tangible de leur implication dans des contrats internationaux complexes comme le secteur de la construction, de l’aéronautique ou bien encore de l’énergie. Ces contrats, contrairement aux contrats d’adhésion ou aux contrats simples, comportent de multiples aspects qui doivent être traités en amont par la direction juridique. Les contrats portent sur un objet précis mais les circonstances qui l’entourent peuvent être complexes et comporter en plus des volets de M&A et/ou de financement qui peuvent être eux-mêmes très complexes.

Certains contrats sont particulièrement complexes et font l’objet d’une grande vigilance de la part des services juridiques. Il s’agit, par exemple, des contrats qui voient plusieurs entreprises de nationalité différente s’unir pour la réalisation d’un projet déterminé. Ces contrats s’inscrivent presque toujours dans la durée compte tenu de leurs enjeux et des moyens engagés. C’est le cas des joint-ventures créées par des sociétés lorsqu’elles veulent s’implanter dans un pays où il est parfois nécessaire d’avoir un partenaire local.
Certains de ces partenariats peuvent se révéler difficiles comme celui construit entre le groupe français Danone et l’entreprise chinoise Hangzhou Wahaha Foods Co Ldt. Le groupe Danone accusait son partenaire chinois d’avoir développé un réseau de vente parallèle à la joint-venture initialement mise en place pour la distribution de produits, violant ainsi un accord d’exclusivité de licence de marque quand son correspondant chinois considérait que la marque était partie intégrante des actifs de son groupe et seulement mise à disposition de la joint-venture. S’en est suivie une bataille judiciaire devant les juridictions de plusieurs pays pendant plus de trois ans.

Cet exemple illustre la complexité des contrats internationaux qui nécessitent très souvent la création de structures collaboratives (NewCo, JV…) ou a minima de règles de gouvernance commune entre deux ou plusieurs entreprises de pays et de cultures différents. Les stratégies business derrière ces contrats sont souvent risquées d’un point de vue financier et expliquent le caractère absolument essentiel des négociations juridiques et de la précision des termes du contrat.

Toutes les normes applicables à ce type de contrats ne sont pas d’origine étatique puisqu’elles résultent aussi de conventions internationales, de la jurisprudence arbitrale ainsi que des coutumes et usages propres au commerce international. En cas de conflit, le juge qui prend connaissance d’un contrat international va s’efforcer, dans un premier temps, de comprendre la nature des relations contractuelles que les parties ont voulu établir au moment de la conclusion du contrat. Il est donc particulièrement important que les directions juridiques des entreprises fassent preuve d’une grande vigilance lors des phases de négociation et de rédaction de ces contrats afin qu’en cas de litige leur volonté initiale soit clairement traduite dans les termes du contrat.

On le sait une attention toute particulière doit être notamment portée par les directions juridiques à certains éléments du contrat comme le calcul du prix, les garanties, le droit applicable, la juridiction compétente en cas de conflits mais également la langue du contrat faisant foi pour l’interprétation ou l’exécution du contrat. Sur ce dernier point, des praticiens expérimentés considèrent par exemple que dans le cadre de tels contrats, il peut être préférable de rédiger un contrat dans la langue originelle de l’un des contractants à charge pour l’autre de s’entourer de conseils capables de traiter tous les points de désaccord qu’il pourrait y avoir plutôt que d’arriver à un compromis sur un contrat mal rédigé en langue anglaise que chacune des parties croirait à tort maîtriser.

Même si de plus en plus, la tendance est à la standardisation du contenu et de la rédaction de ce type de contrats, ces contrats internationaux comportent bel et bien des clauses clés très sensibles. Le problème souvent réside alors dans le fait que les directions juridiques qui souffrent de restrictions budgétaires ne peuvent pas faire analyser et vérifier les clauses essentielles par des cabinets de conseil extérieurs et spécialisés dans le droit applicable. Bien souvent, elles ne disposent pas non plus des ressources internes pour le faire.

Pour autant, il devient crucial, afin qu’elles puissent assurer leur rôle d’organe de sécurisation, que les directions juridiques aient à leur disposition les ressources humaines expertes nécessaires à la bonne gestion de ces contrats. Ce constat est d’autant plus vrai en temps de crise sanitaire.

La direction juridique :
organe de sécurisation des contrats complexes internationaux

Prévenir et encadrer les risques est l’activité même de la direction juridique. Les contrats complexes internationaux peuvent soulever un certain nombre de difficultés, particulièrement lorsqu’ils sont conclus avec des partenaires issus de pays qui ne partagent pas la même culture juridique. Ce type de contrat ne relève pas d’un régime juridique particulier et la liberté contractuelle est importante, ce qui rend les négociations et la rédaction primordiales. La relation contractuelle doit être sécurisée et nécessite l’intervention d’experts avec des compétences pluridisciplinaires, et le cas échéant, le concours de juristes locaux.

Les entreprises ont un besoin essentiel d’équipes dédiées, hyper expertes et spécialisées au carrefour de plusieurs métiers rattachées à la direction juridique mais aussi parfois à des équipes strictement opérationnelles.
Afin d’être performantes, ces équipes doivent posséder des compétences spécifiques mais également avoir une vision globale. Ainsi, au-delà d’une expertise juridique pure sur certaines clauses type d’arbitrage, les membres en charge de la négociation et de la gestion de ces contrats doivent posséder des connaissances financières, fiscales mais aussi maîtriser les enjeux des équipes R&D et bien connaître les services achats et commerciaux. Seules ces connaissances poussées des membres de l’équipe permettront d’assurer une bonne gestion des risques même en cas de crise.

L’épidémie (COVID-19) que nous connaissons a impacté le transport mondial, l’industrie mais également toutes les chaînes d’approvisionnement, notamment en raison de la fermeture des frontières. Conjugué au Brexit, les directions juridiques vivent une époque extrêmement incertaine où la sécurité juridique et les normes contractuelles sont remises en question.

Comme nous l’avons développé dans notre article sur la performance de la direction juridique en temps de Covid-19, les directions juridiques ont été les premières sollicitées au sein de l’entreprise lors du premier confinement et 67% des départements juridiques ont été membres de la cellule de crise de leur entreprise.

Les directions juridiques ont dû analyser les risques, aidées notamment par des outils de digitalisation, et mettre en place un plan d’action. Concernant les contrats internationaux, les juristes ont été amenés à procéder à une analyse rapide des droits et obligations respectifs des parties au contrat. Il a fallu en premier lieu identifier les dispositions pouvant être affectées par les conséquences de l’épidémie (clause de résiliation, clause de force majeure, clauses restrictives, garanties…) puis il a fallu ensuite se renseigner sur les mesures et restrictions réglementaires locales applicables dans le pays du cocontractant et voir si, par exemple dans le cadre d’acheminement de marchandises, d’autres solutions pouvaient être trouvées pour réaliser les objectifs contractualisés.

Le métier de juriste en charge de ce type de contrats est complexe. Son rôle est essentiel pour les entreprises. Ses connaissances multiples et son expérience sont les piliers qui permettent de gérer les crises et d’être au cœur des problématiques stratégiques de l’entreprise. En bref, il n’est pas possible de s’improviser rédacteur de contrat international complexe sans avoir au préalable une certaine expérience. Cela s’est particulièrement remarqué au début de la crise sanitaire actuelle. Les contrats correctement négociés et rédigés ont permis d’arriver à des solutions pérennes pour les partenaires commerciaux et d’éviter la résiliation du contrat. Cela a assuré le but premier poursuivi par le contrat : réduire au maximum les aléas.

Les directions juridiques ont plusieurs solutions qui s’offrent à elles lorsqu’elles ne disposent pas des ressources humaines compétentes pour ce type de projet en interne. L’internationalisation et le changement de l’organisation des méthodes de travail confirmés par la crise sanitaire leur permet d’avoir plus facilement accès à des ressources externes. Il n’est plus impensable d’intégrer aujourd’hui à une équipe un juriste permanent basé en Chine ou aux Etats-Unis. La possibilité d’intégrer une ressource externe à titre provisoire leur est offerte avec des solutions comme le management de transition.

Ces solutions octroient une marge de manœuvre plus importante aux départements juridiques dans leurs besoins d’équipes compétentes et hyper spécialisées afin d’assurer la protection des intérêts de l’entreprise.

La conclusion de contrats internationaux complexes constitue aujourd’hui une part importante de l’activité de nombreux groupes et entreprises. Une grande vigilance et la mobilisation des équipes juridiques, assistées le cas échéant par des managers de transition experts choisis à la carte, dans l’ensemble du process d’élaboration et de gestion des contrats complexes internationaux sont les clés du succès de ces transactions.

Cette prévention des risques en amont s’opère plus globalement par la sélection attentive d’une équipe dédiée et spécialisée sur ces problématiques qui travaillera en corrélation avec les directeurs de projets.

À l’heure de la Covid-19, il sera intéressant de voir comment les directions juridiques ont su mettre en œuvre les différents outils dont elles disposent pour améliorer leur performance et de constater le rôle primordial ou non qu’elles auront dans la reprise de l’activité.

Contrats complexes internationaux ǀ DESCLÈVES & associés

La Direction Juridique : acteur stratégique de l'internationalisation de l'entreprise.

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Rédaction sous la supervision d'Arnaud DESCLÈVES