La fonction de Directeur Juridique sera à la fois vitale en temps de crise, hautement digitalisée et extrêmement flexible.
« Le nouveau normal » ou l’expression phare du moment. Il convient cependant de distinguer le nouveau normal temporaire à base de distanciation sociale, masques et autres ravissements du nouveau normal, héritage pérenne du Covid-19, qui façonnera les directions juridiques de demain.
Il ressort d’un sondage réalisé par EY Law « Reimagining the Legal Function Report 2019 » que les directions juridiques doivent, depuis un moment déjà, faire face à l’augmentation continue de la demande et à la pression des coûts, tout en restant conformes à un environnement réglementaire en constante mutation.
Avec la Covid-19, de nouvelles grilles d’analyse se mettent en place. Si la transformation digitale commençait à prendre une place importante, elle est désormais cruciale pour la survie des entreprises. Les directions juridiques ont vu s’opérer un bouleversement dans l’organisation du travail de leurs salariés en sautant, contraintes et forcées, le pas du télétravail tout en s’accordant à dire avec un peu de recul que cela n’a pas impacté leur productivité.
La crise sanitaire de 2020 va-t-elle faire dévier ou accélérer la transformation engagée vers la direction juridique du futur ?
Une étude réalisée par le cabinet de conseil Day One auprès d’un nombre conséquent de Directrices/Directeurs Juridiques et Secrétaires Généraux de grandes entreprises et ETI a permis de dresser un bilan de la situation suite au premier confinement en France et a mis en lumière plusieurs axes d’amélioration et enjeux à moyen et long terme.
Cette étude a permis de tirer plusieurs enseignements de la crise. Les directions juridiques ont été les premières sollicitées lorsque le premier confinement a été mis en place. 89 % des Directeurs Juridiques ont estimé leur rôle plus légitime et ont eu le sentiment d’être de réels Business Partners et 67 % des départements juridiques ont été membres de la cellule de crise de leur entreprise.
De « knowledge manager », le Directeur Juridique est devenu acteur de la stratégie mise en place pour assurer la pérennité de l’entreprise dans un contexte économique et sanitaire extrêmement difficile.
Les directions juridiques ont eu à traiter majoritairement des sujets suivants : analyse des engagements contractuels et de la force majeure, veille juridique sur les nouveaux textes et obligations sanitaires, droit social et chômage partiel, droit des sociétés et maintien des AG, financement, refinancement et PGE.
Les directions juridiques ont été extrêmement réactives, devenant l’interlocuteur privilégié des organes de direction qui se sont retrouvés pris au dépourvu par la situation sanitaire et économique. Mises en avant soudainement, les directions juridiques ont pu réagir rapidement grâce aux outils dont elles disposaient ou qu’elles ont mis en œuvre.
Les directions juridiques le moins impactées par la crise étaient celles qui avaient initié une transformation digitale au préalable. Comme nous l’avions indiqué dans notre précédent article La fonction de Directeur Juridique : ses outils (2/3), 80 % des directions juridiques n’avaient pas de budget dédié à la digitalisation de leur service. La crise sanitaire ne leur a pas vraiment laissé le choix.
Avec la Covid-19 et l’impossibilité de se rendre sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, nous avons assisté à une systématisation des réunions via des outils digitaux (72 % ont déclaré utiliser Teams, 32 % Zoom et 30 % Webex) et la signature électronique a été utilisée par 52 % des entreprises interrogées. Le fait de travailler à distance a augmenté de façon considérable le besoin d’une technologie collaborative et l’utilisation d’internet a augmenté de 70 % lors du premier confinement. Il a fallu, par exemple, trouver des solutions rapidement pour que les assemblées générales puissent se tenir et les convocations puissent être envoyées sans problème.
Une « Étude sur la digitalisation des directions juridiques » réalisée en 2018 par le Cercle Montesquieu en association avec CMS Francis Lefebvre Avocats et Day One a mis l’année 2019 en lumière comme « l’année de la bascule vers l’intelligence artificielle ».
Selon cette étude, les directions juridiques ont d’abord tablé sur la mise en place d’outils technologiques simples (gestion électronique de documents, automatisation de certains contrats, signature électronique…) anticipant une transformation plus en profondeur dans les 3 à 5 ans vers des outils intelligents et plus complexes (« chatbots » afin de se débarrasser de questions récurrentes en permettant des réponses automatisées, justice prédictive pour les contentieux, utilisation de la blockchain…).
La réalité est un peu différente. Les directions juridiques ont mis du temps à mettre les outils simples en place en raison souvent d’inquiétudes, d’une perception erronée quant à leur utilité ou bien encore par manque de moyens. Avec la crise sanitaire, ces outils collaboratifs ont été largement plébiscités et les équipes en ont bénéficié rapidement, surtout lorsqu’un processus de digitalisation avait déjà été enclenché. En revanche, la mise en place d’outils utilisant l’Intelligence Artificielle en est encore à ses prémices.
Ce constat sur l’IA va sûrement changer pour plusieurs raisons, notamment des raisons de sécurité. La crise sanitaire a donné lieu à une recrudescence des cyberattaques. Avec la mise en place très rapide d’un télétravail généralisé, les hackers ont exploité les failles du système. À cela, s’ajoute l’utilisation d’ordinateurs personnels par les salariés et le traitement de données sensibles par téléphone. Les directions juridiques, comme les directions financières, sont les premières touchées de par la nature même de leur activité. Certaines technologies, comme la blockchain, permettent une plus grande sécurité. Cette dernière permet de réaliser des transactions de façon tout à fait traçable et sécurisée.
Les Smart Contracts, mot à mot « les contrats intelligents », sont des protocoles informatiques qui facilitent, vérifient et exécutent la conclusion et l’exécution d’un contrat. Les instructions prédéfinies qu’ils contiennent garantissent ainsi la force obligatoire des contrats. Ce procédé est plus sécurisé mais également moins coûteux puisque l’intervention d’un tiers n’est plus requise. Ces technologies permettent une gestion intelligente des contrats et plus seulement une gestion automatisée. Il s’agit d’outils dont les directions juridiques pourront tirer de nombreux bénéfices.
La seconde raison qui pousse les départements juridiques à se porter sur l’IA est la diminution du temps passé sur certains processus chronophages et à faible valeur ajoutée. Ces innovations technologiques sont une aide précieuse notamment pour l’analyse et la revue de contrats et de clauses, notamment en l’espèce des clauses de force majeure. Certains logiciels intelligents apprennent et comparent les contrats dans leur base de données permettant ainsi par exemple la détection instantanée de l’oubli d’une clause essentielle dans certains types de contrats.
Prises au dépourvu par la crise sanitaire et le confinement, les entreprises ont eu besoin rapidement d’un éclairage sur les contrats conclus et leurs obligations, notamment dans le cadre de contrats de vente, d’achat et de prestation de services. Les directions juridiques ont dû répondre à un nombre croissant de demandes externes, mais aussi internes des autres départements, relatives aussi bien aux contrats commerciaux, qu’aux contrats de travail et à la mise en place de normes sanitaires au sein de l’entreprise.
Cela laisse place à un bel avenir pour ces logiciels intelligents au sein des directions juridiques.
La transformation digitale forcée des entreprises a permis à celles-ci de se conformer aux exigences gouvernementales et aux normes sanitaires édictées pour limiter la propagation du virus. En effet, la récente pandémie de COVID-19 n’a fait que souligner la nécessité d’opérer un changement. L’impératif de distanciation sociale a forcé les entreprises françaises à imposer le télétravail à leurs salariés modifiant ainsi radicalement leur façon de travailler et l’organisation interne du département juridique.
Comme nous l’avions mentionné dans notre article « Repenser les directions juridiques en mode agile », le juriste de demain pourra travailler à distance de façon coutumière et n’aura plus besoin de se rendre physiquement sur son lieu de travail.
La crise ayant accéléré la digitalisation de bon nombre de départements juridiques, ces derniers sont désormais à même de fournir les outils nécessaires à leurs salariés pour que ces derniers travaillent à distance.
L’étude Covid-19 mentionnée précédemment a montré que la qualité de la production des équipes juridiques en télétravail n’avait pas été impactée et qu’au contraire les équipes avaient performé au-delà de leurs résultats habituels. La crise a révélé le bon fonctionnement des réunions tenues à distance mais a également accru la communication au sein des équipes.
Cependant nombre d’auteurs se questionnent sur le fait de savoir si la motivation des équipes restera la même lors du passage d’un télétravail « de crise » à un télétravail normal. Les juristes, et plus généralement les salariés de l’entreprise, ont fourni des efforts particuliers lors du premier confinement parce que la survie de leur entreprise en dépendait. Mais qu’en sera-t-il lorsque cela ne sera plus le cas ? Il est pour l’instant difficile d’apporter une réponse à cette question. Les directions juridiques interrogées estiment que la nouvelle organisation du travail devrait comprendre à l’avenir 2,2 jours de télétravail par semaine.
Lors de la Visio-RETEX de l’Agora des Directeurs Juridiques & de la Compliance du 12 octobre dernier sur le thème du « Télétravail, flexibilité : Nouvelle donne pour nos bureaux ? », deux représentantes de Cushman & Wakefield ont notamment abordé l’épineuse question du coût des locaux professionnels. Certaines entreprises s’interrogent désormais, dans le cadre de la gestion de leurs investissements immobiliers, sur le fait de savoir s’il est réellement utile d’organiser leur siège social de façon traditionnelle avec des bureaux attribués à chaque salarié. Certaines d’entre elles préfèrent opter pour des solutions de télétravail de leurs salariés ou même encore de bureaux flexibles leur permettant ainsi de réduire les coûts de façon drastique.
Certains labels comme Great Place to Work sont en train de se réadapter en changeant leurs indicateurs de performance pour voir quelle est la qualité de vie au travail avec cette nouvelle donne. Un nombre très important de questions se profile pour les entreprises, questions auxquelles les directions juridiques devront répondre. Deux sujets semblent occuper particulièrement les esprits : le droit à la déconnexion avec les bonnes pratiques numériques à adopter mais également le sentiment d’isolement que peut provoquer la distance chez certains salariés.
Malgré certains problèmes que la distance peut soulever, il y a fort à parier que le juriste de demain sera un « juriste nomade ». Il est désormais possible pour les entreprises de faire appel à des juristes partout dans le monde pour un problème ponctuel et de diversifier ainsi les expertises dont elles bénéficieront. L’organisation traditionnelle des départements juridiques peut, comme cela vient d’être démontré, être modifiée sans que cela impacte l’efficacité de l’équipe dans sa mission de prévention et gestion des risques de l’entreprise.
Si la possibilité de travailler à distance de façon continue existait déjà, la crise sanitaire a révélé sa pertinence.
Des solutions d’abonnement sont même désormais offertes aux entreprises leur permettant ainsi d’utiliser les compétences d’un avocat ou d’un juriste externe travaillant entièrement à distance selon la formule choisie.
L’étude « Covid-19 et les directions juridiques » a fait ressortir plusieurs étapes concrètes qui doivent accompagner les entreprises dans leur reprise d’activité comme la planification stratégique, une réallocation des ressources comprenant notamment une réduction des coûts juridiques, une meilleure structuration de la fonction « Legal Operations » et une réorganisation du travail.
Ces axes d’amélioration permettront aux départements juridiques de pérenniser la place de Business Partner qui est devenue la leur pendant la crise sanitaire.
Les directions juridiques doivent élaborer des modèles plus innovants, numériques, durables et axés sur le client. L’innovation doit être regardée comme un moyen d’apporter une vraie valeur ajoutée et, à long terme, de redéfinir la fonction juridique.
La situation sanitaire a confronté les Directeurs Juridiques à des problématiques plus larges telles que la cybersécurité et la gestion de leurs collaborateurs à distance. Leur rôle devrait devenir encore plus déterminant afin de préparer leur entreprise à l’évolution du marché et des régulations dans un monde post COVID.
Au total, la crise sanitaire et économique a donc eu tendance à forcer les directions juridiques à accélérer fortement la modernisation entamée auparavant.
Directions juridiques : comment performer dans un contexte post-Covid-19 ?